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Angelin Preljocaj nous propulse dans les vrombissements orageux de sa célèbre pièce HELIKOPTER avant de révéler sa dernière création, solaire et lumineuse.
Prêts à traverser la tempête ?
Sur la musique vertigineuse du Helikopter-Quartet de Stockhausen, six danseurs tourbillonnent dans un espace entre ciel et terre. Ils semblent lutter contre les forces qui les assaillent. La lumière les écrase, le son les aspire mais ils résistent, inspirés par une énergie radicale et organique. Puis, un silence salvateur, presque irréel, ouvre la voie à la toute dernière création d’Angelin Preljocaj, éclatante et vibrante. Un nouvel élan surgit tel un souffle de liberté porté par l’énergie des partitions de Laurent Garnier. « Nous vivons dans un monde plutôt sombre mais j’y vois des lueurs », nous dit Preljocaj. Dans ce mouvement de bascule, d’une intensité brute à une clarté solaire, ce spectacle offre une métaphore saisissante de notre époque, une invitation à danser avec le monde qui vient.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer HELIKOPTER sur ce quatuor de Karlheinz Stockhausen ?
À l’époque, en 2001, je cherchais souvent des éléments qui pouvaient m’inspirer ou me faire rebondir, de façon à me déplacer, me décaler par rapport à mon propre travail. Je fouillais donc dans les bacs de disques dans la section contemporaine et expérimentale… et j’aperçois Helikopter quartet. Intrigué, je l’achète. Je l’écoute. Une partition de folie, hallucinante. Impossible à chorégraphier ! Dans la nuit, je me réveille, et je réalise : puisque ça paraît infaisable, faisons-le !
Pourquoi avoir jumelé la reprise HELIKOPTER, à votre création 2025, intitulée LICHT (Lumière) ?
Au départ, je souhaitais rendre un hommage à Karlheinz Stockhausen, comme une volonté de communiquer presque télépathiquement, ou « médiumniquement » avec lui, puisqu’il est mort juste après notre dernière collaboration, Eldorado, que nous avions présenté à l’Opéra de Paris dans un programme comprenant déjà HELIKOPTER. Nous nous étions rencontrés plusieurs fois, notamment lors d’un très long entretien où nous avions évoqué l’art, la création, l’écriture, le langage et la composition.
Cela a-t-il influé sur votre manière de chorégraphier ?
Ce qui m’a surtout impressionné chez lui, c’est sa radicalité intrinsèque, essentielle, presque génétique, au sens où elle était ancrée au plus profond de lui-même. HELIKOPTER est une pièce démente, qu’il a créée à 70 ans ! Stockhausen prend des risques, cherche, essaie de se renouveler à chaque fois et de laisser à l’humanité comme un message avant-gardiste disant de ne jamais se satisfaire de ce que l’on sait faire, mais d’inventer toujours. Cela me bouleverse, et j’ai toujours trouvé dans sa musique une liberté formidable car il s’autorise l’inattendu.
Quel rapport LICHT a-t-il avec HELIKOPTER ?
Je cherche toujours une cohérence interne aux soirées composées de plusieurs pièces. HELIKOPTER exige une force, à laquelle l’oeuvre qui la suit doit pouvoir résister. C’est pourquoi LICHT très solaire, lumineux, s’impose comme si l’on sortait d’une chape de nuages orageux. Une sorte de métaphore de notre époque.
Est-ce donc une utopie futuriste ?
Nous vivons une période plutôt sombre, mais j’y vois des lueurs. À travers l’inquiétude, ou l’obscurcissement apparent, je crois qu’il existe des prises de conscience irréversibles. La société avance, même si le conservatisme nous revient en boomerang, ça ne présume pas de l’issue de cette bataille. Nous sommes à un point de bascule de notre civilisation, c’est pourquoi ça tangue. Voilà ce que j’aimerais faire passer dans cette création.
Quel compositeur avez-vous choisi pour le confronter à cette partition de Stockhausen ?
Considérant que Stockhausen est le grand-père de l’électro, j’ai cherché parmi ses petits-fils putatifs, et j’ai pensé immédiatement à Laurent Garnier, avec lequel j’ai déjà travaillé. Il est, pour moi, un héritier direct. On sent une vibration et une énergie qui sont des signes de l’avenir : désir de liberté immense, mais aussi de respect, d’inclusion, de tolérance, toutes valeurs qui sont celles d’une nouvelle génération.
À PROPOS DE « HELIKOPTER »
À PROPOS DE « HELIKOPTER »
« Lors de la première audition d’Helikopter-quartet’, de Karlheinz Stockhausen, l’idée de créer une pièce chorégraphique sur cette musique ne m’a pas du tout effleuré l’esprit tant cette œuvre semblait laminer, à chaque coup d’hélice, les fondements même d’un rapport entre musique et danse. C’est cependant pour cette raison même qu’à la seconde écoute, le désir jubilatoire de se confronter aux entrelacs des turbines d’hélicoptères et des glissendi du Quatuor Arditti s’est imposé d’une façon irrépressible. Exposer six danseurs aux rythmes effrénés et technorganiques de cette pièce, tel sera l’enjeu de cette création. »
Angelin Preljocaj
« Début 1991, le professeur Hans Landesmann, du Festival de Salzbourg, me passa commande d’une œuvre pour quatuor à cordes, qui devrait être créée par le Quatuor Arditti en 1994. C’est alors que je fis un rêve : je vis et entendis les musiciens du quatuor jouant en plein vol dans quatre hélicoptères. Je vis simultanément des gens au sol, assis dans une salle équipée de matériel audiovisuel, et d’autres à l’extérieur, debout sur une grande place. Devant eux, on avait érigé quatre tours constituées de téléviseurs et de haut-parleurs : à gauche, à mi-gauche, à droite, à mi-droite. Dans chacune des quatre directions, on pouvait entendre et voir en gros plan l’un des quatre musiciens. Les musiciens exécutaient la plupart du temps des tremolos qui s’harmonisaient si bien avec les timbres et les rythmes des pales de retors que les hélicoptères en devenaient comme des instruments de musique… »
Karlheinz Stockhausen
Avec l’aide de l’armée autrichienne pour l’obtention des hélicoptères, de la radio et la télévision pour le raccordement aux canaux de transmission audio-vidéo et grâce au soutien de nombreux sponsors et de l’administration pour l’ensemble des autorisations, le rêve devint réalité le 26 juin 1995 à Amsterdam : trois vols eurent lieu en création mondiale pour 3 représentations. Dès la première de l’œuvre, son retentissement fut considérable et international, la presse s’étant emparée avec enthousiasme de ce happening géant entre ciel et terre, de cet opéra vertical dans lequel les cordes vibrent en un constant trémolo, épousant les ru-gissements des pales d’hélicoptères qui deviennent ainsi des instruments à part entière. À l’écoute de ce rêve de Stockhausen, accessible sur CD, chacun sentira la terre et le ciel trembler pour entrer dans une quatrième dimension…
Ce disque a obtenu le Grand prix du disque 2000 de l’Académie Charles Gros (53 Palmarès), le 28 novembre 2000.